La sphère publique est un concept créé au 18ème siècle et développé par Jürgen Habermas, qui a déclaré que la sphère publique se caractérisait par sa nature critique en opposition à la nature représentative du système féodal (Boeder, P., 2005). Selon Hauser (Hauser, G., 1988), c’est un lieu discursif où les gens peuvent échanger leurs opinions pour créer un jugement commun. Ce caractère critique est mis en danger par le pouvoir des médias de masse qui transforme la plus grande partie de la société en un public passif, objectifs d’une culture de consommation. Il est intéressant de noter cependant que la possibilité de toucher un plus grand nombre de personnes permet aux internautes de créer des liens qu’il aurait été difficile d’entretenir sans le nouvel outil, et ces liens créent des réseaux, un mot populaire de nos jours. Mais comment notre société est-elle influencée par les réseaux ?
Deux théoriciens qui ont étudié l’influence des réseaux sont Castells et Granovetter. Castells (Castells, M., 2004) reconnaît l’importance des réseaux en déclarant que le pouvoir ne réside pas dans les institutions, mais plutôt « il se situe dans les réseaux qui structurent la société ». C’est pourquoi, pour avoir le contrôle, il faut créer des réseaux qui contrecarrent les autres réseaux, ce qui en fait une question de « réseaux contre réseaux ». D’autre part, Granovetter (Granovetter, M., 1984) étudie les influences des liens forts et faibles pour aider les gens à réussir. En effet, les liens forts et faibles sont utiles, mais influents en des termes différents. Bien qu’il ne soit pas clair comment les nouveaux médias les développent tous les deux, il est clair qu’il est plus facile de créer et d’entretenir des liens faibles partout dans le monde aujourd’hui via Internet grâce aux e-mails, blogs, sms, Facebook, LinkedIn et Google + etc… Mais le renforcement des liens faibles ne s’est pas fait au détriment des liens forts, du moins rien ne le pensons : avec les mêmes outils on peut garder le contact avec sa famille et on a probablement de meilleures relations avec elle que Dans le 19ème siècle.
La conclusion que nous pouvons tirer des deux auteurs est que le pouvoir, qui a toujours été alimenté par les liens, est détourné vers les réseaux : la nouvelle façon de créer et de maintenir ces liens. La question n’est pas anodine car les réseaux via de nouveaux outils sont beaucoup moins chers à créer et à développer, et donc beaucoup plus accessibles pour la plupart des citoyens. A titre d’exemple, le président espagnol d’EQUO, Reyes Montiel, tient très activement un compte Twitter et un blog, répondant aux questions des citoyens. Certaines des questions que Reyes Montiel a discutées avec ses collègues sont inspirées par les commentaires sur ses blogcasts et ses twitter casts. Il est alors clair que les nouveaux modes de communication offrent une plus grande interactivité et une plus grande connectivité, toutes deux indispensables au développement de la sphère publique.
Mais les nouveaux médias offrent aussi la possibilité de personnalisation. Le « design personnel » tel que décrit par Sunstein (Sunstein, R., 2001), est le résultat futur des grandes possibilités qu’offre Internet pour personnaliser le contenu que nous voulons obtenir, en filtrant en fait les informations qui nous parviennent. Bien que les avantages personnels soient clairs, les conséquences sur la sphère publique pourraient ne pas être aussi positives en raison de la possible création de compartiments dans la société. Si vous n’obtenez que les informations que vous voulez, des personnes que vous avez choisies, l’exposition à d’autres mentalités et à de nouvelles idées pourrait être considérablement réduite.
Pour conclure, même si l’euphorie affichée par de nombreux adeptes des nouvelles technologies peut être décevante, compte tenu de la situation de la sphère publique avant l’émergence d’internet, on peut se permettre l’optimisme.
Les références:
-Manuel Castells, Why Networks Matter, Network Logic: Who Governs in an Interconnected World?, Helen McCarthy, Paul Miller, Paul Skidmore, eds, London: Demos, 2004
-Mark Granovetter, « La force des liens faibles, une théorie du réseau revisitée », Théorie sociologique, Volume 1 (1983)
-Pieter Boeder, Habermas Heritage : l’avenir de la sphère publique dans la société en réseau
-Cass R. Sunstein, « The Daily We : Internet est-il vraiment une bénédiction pour la démocratie ?
-Gerard Hauser, Dialogue vernaculaire et rhétorique de l’opinion publique »