Ce penseur de la vitesse, depuis plus d’une décennie, contemple une fois de plus que « l’Histoire s’accélère ». Dans le Journal du Dimanche (JDD), il y va d’une petite tirade contre Twitter.
«Prenez l’Iran. Au moment où l’empathie devenait réelle, Michael Jackson est mort, et c’était fini. On a demandé le dieu mort du show-biz, universellement et instantanément, et l’Iran a été chassé de l’immédiat. L’instant était passé.»
Il a raison. Twitter a joué le rôle de révélateur de l’épiderme des peuples. Mais il passe sous silence le fait que c’est Twitter, l’immédiat, qui a amené l’Iran sur la scène médiatique d’où il serait passé inaperçu. Le phénomène Jackson n’avait pas besoin de Twitter pour occuper la une et le prime time.
«Plus sur entre dans l’accélération des phénomènes, plus sur brouille les repères. On n’a plus d’affrontement entre la vérité et le mensonge, mais une succession toujours plus rapide d’instants irréfutables : des émotions globales, synchrones, instantanées, à l’échelle du monde entier.»
Accélération et réflexion ne font pas bon ménage. Paul Virio le répète depuis longtemps. Il cherche à démasquer l’instantanéité trompeuse comme source d’une catastrophe appréhendée.
«La démocratie s’adresse à un corps social réfléchi, pas à un agrégat d’individus rois faussement unis dans une émotion collective. Tant qu’on n’aura pas pensé à ce problème, on n’arrivera pas à inventer une démocratie de notre temps. Il faut inventer une « économie politique de la vitesse »».
Mélange tes codes
Quand il dit que l’immédiateté est le contraire de l’information, il fait malheureusement l’amalgame entre la vitesse du signal et le contenu du message. Si nous devions intégrer les gazouillis de Twitter comme autant d’influx nerveux, comme des lignes d’instructions, l’immédiateté ne serait pas seulement nuisible, mais impraticable.
Il faut rester pragmatique : un gazouillis de Twitter n’est qu’un signal, retransmis si affinité, mais pas plus instructif qu’un gros titre dans un journal. Disons qu’il possède la faculté d’être « immédiatement propagé » s’il rencontre une ligne de résonance dans la culture des twitternautes. Sans plus.
Dire que l’immédiateté est le contraire de l’information, c’est dire que le transport du signal n’est pas le contenu du message…
Alerte dans le twitterspace
Peut-être que l’on simplifie beaucoup sa pensée en se limitant à quelques extraits, mais ça suffit pour comprendre que la vitesse effraie Virilio: hystérisation des foules, folies irrationnelles des marchés, pensée plate et sans recul – voir Alerte dans le cyberespace ! qu’il a écrit en 1995 dans le Monde Diplomatique à ce sujet.
Soit. Et son appel est entendu (« penser la vitesse et son incompatibilité avec la réflexion démocratique »). Il n’y a jamais d’acquis sans perte, dit-il. Un acquis se traduira nécessairement par une perte (il reprend une formule d’Hannah Arendt « Le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille. » On invente le train? On invente le déraillement – lire « Le krach actuel représente l’accident intégral par excellence » sur le Monde).
Il suffit de ne pas prendre les mouvements des tags populaires pour les votes démocratiques.
Redistribution
Mais faut-il avoir peur de l’immédiat pour le reste ? Dans une société de l’information, la mise en place des éléments du nouvel écosystème exige la présence d’un outil de partage démocratique de l’information. Ces outils sont tout aussi puissants et rapides que ceux qu’avaient les magnats du début du siècle dernier. Ils sont seulement mieux distribués.
Dans le cas précis qui nous concerne, Twitter, en tant qu’outil de distribution d’information électronique, il n’y a aucun sens de recevoir l’information « plus lentement »: l’instantanéité de la transmission est nécessaire. Je parle ici de sa réception -peut-être que dans son émission, pour certains, un délai peut-être bénéfique
Mais l’instantanéité de l’internet est le contraire de l’instantanéité de la télévision. Ce serait même l’inverse, comme le dit ThierryL dans un commentaire chez Narvic, « contrairement à la continuité vidéo de la télévision sur laquelle on ne peut pas revenir, on a tout le temps du monde en tant qu’utilisateur de lire et relire les textes, voir et revoir les vidéos. »
Enseigne-t-on ça au jeunes ? En tout cas, on l’enseigne aux journalistes en Chine : Twitter considéré comme un outil de changement social en Chine
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Référence : L’instant contre la démocratie, par Paul Virilio (sur le Journal du Dimanche)
Plus d’infos :
Interview de Paul Virilio : infantilisation et temps réel (vidéo chez les Humains associés)
Un paysage d’événements. Entretien avec Paul Virilio (1995 sur la République des lettres)
Dromologie : logique de la course (1991 sur Multitudes)
Paul Virilio : « Le krach actuel représente l’accident intégral par excellence » (2009, Le Monde)
Paul Virilio : la crise actuelle est sans référence (2009, vidéo sur Utime)




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