Réseaux sociaux

Le journaliste-réseau

« Le journalisme, dit-on, c’était un cours magistral, c’est maintenant un séminaire ou une conversation. On peut bien le regretter, mais l’époque des journalistes-maîtres à pensée est révolue. À l’ère des Facebook et Twitter, le journalisme doit apprendre à dialoguer avec le public» dit Florian Sauvageau, directeur du Centre d’études sur les médias qui va co-présenter aujourd’hui le colloque international sur l’avenir du journal indépendant. [1]

Ça commence le raid, cette nouvelle décennie. Voilà finis les tiraillements de poulailler, où les journalistes traitent la gueule contre la blogosphère. Puis contre les réseaux sociaux, avant les embrasser (à leur manière).

On a beau affubler internet de tous les maux, la crise qui les frappent est double –la financière (les publicités ont accès à leur audience sans passer par la presse) et celle de ligitimité (l’autoproduction de contenu retire leur privilège d’ être les seuls à commenter l’actualité)– elle a mené depuis 10 ans à développer un nouvel écosystème de l’information. J’estime aujourd’hui qu’entre les médias traditionnels et les médias sociaux, l’arrimage est amorcé.

L’hyperjournalisme

« L’irruption des blogues et des opinions de toutes sortes dans Internet nous rappelle que l’opinion n’est pas notre privilège, que notre métier » ajoute Edwy Planel, ancien directeur de la rédaction du Monde et maintenant fondateur de Médiapart, l’ un des intervenants au colloque, c’est d’abord l’enquête, le reportage et la mise en perspective. Internet est un bouillonnement démocratique qui, loin de dissoudre le journalisme, nous rappelle à ce que nous devons faire ». [2]

La question qui se pose aujourd’hui au colloque se résume ainsi : « le public intéressé à la vie citoyenne est-il suffisant pour faire vivre un journal indépendant et de qualité ? »

« Le journal qui réussira demain est celui qui fournira une information recherchée par une partie significative de la population, tout en offrant de la valeur ajoutée » dit Sauvageau [1] .

Plenel ajoute : «Le journal en papier doit bouger, car il s’adresse à un public qui a déjà eu de l’information» [2].

Suivez l’argent

«Pour la première fois, les annonceurs peuvent se passer largement des journaux, et même de l’information, pour diffuser leurs messages publicitaires» dit Bernard Poulet, auteur de La fin de journaux, coup de tocsin dans le paysage médiatique francophone [3].

Les publicitaires suivent leur audience lù elle s’agglutine. « La manne publicitaire est de plus en plus captée par d’autres acteurs qui ne se soucient peut-être pas de produire de l’information (moteur de recherche, sites de services ou de rencontre, etc). » ajoute Poulet.

« Le journalisme n’a plus le monopole de l’info »

C’est ce qu’à dit la journaliste Lisa-Marie Gervais [4]. Voilà qui en dit long sur la fin des hostilités dont j’ai commenté à quelques reprises ici.

Clay Shirky a écrit dans The Edge récemment que «la rareté crée de la valeur» [4]. Alors le surplus signifie donc que ce qui avait de la valeur antérieure (à cause de la rareté) ne l’est plus. Publier, autrefois réservé à une élite, n’est plus un acte «rare». Donc publier n’a plus de valeur « en soi », car le simple fait de « publier » ne rapporte plus d’argent. La rareté des publications leur donne une valeur.

Les bénéficiaires d’un système oû s’enrichissent ceux qui «rendaient les choses publiques», comme les académiciens, les politiciens, les docteurs et les reporters, continue Shirky, possédaient un privilège qui est maintenant partagé par tous : l’abondance des pensées du public renverse l’ordre passé.

« On veut rentrer chez nous »

Ce cri du cœur vient des journalistes mis en lock-out il y a plus d’un an par les dirigeants du Journal de Montréal dans une publicité qui circule ces jours-ci.

Ce lock-out est une expérience sur la presse d’aujourd’hui grandeur nature. Les cadres du Journal tiennent le fort depuis plus d’un an. Tous les jours. Ou le Journal se porte très bien. Les lecteurs n’ont pas déserté. Et les ventes n’ont pas baissé. Et les annonceurs sont encore au rendez-vous.
Un an que le journal fonctionne sans journaliste. Un an.

Tous ces journalistes qui ont investi de précieux moments de leur vie et qui voient aujourd’hui que leur absence ne change en rien la « qualité » du contenu. Il y a de quoi faire une dépression. Leur pub « On veut rentrer chez nous » est symptomatique d’un gros malaise : où sont-ils pour dire qu’ils ne sont pas « chez eux » ? Ils sont sur le web !! Quelle ironie.

Le nouveau job du journaliste

Ces journalistes devraient prendre Le Post comme exemple. Jeff Mignon a interviewé Benoît Raphaël, le rédacteur en chef du Post: ce journal web où chaque journaliste est en relation avec son public, coordonne des «amateurs» qui sont «les yeux de la salle de rédaction» [6]. La nouvelle tâche du journaliste est devenue un «producteur de nouvelles, un agrégateur et un organisateur de communauté. C’est le journaliste-réseau.

Référence

[1] Florian Sauvageau et Marc Raboy, Indépendant, mais à quel prix ? La qualité de l’information constitue toujours un enjeu social important (Le Devoir, 10 mars 2010)
[2] Christian Rioux L’«hyperjournaliste» Plenel et Internet – Le numérique doit dorénavant se situer en amont de la chaîne « L’information est une marchandise qui mérite d’être protégée dans son intégrité (Le Devoir, 10 mars 2010)
[3] Bernard Poulet, L’information à deux vitesses – Tout est à réinventer Aucune société ne peut vivre sans information (Le Devoir, 10 mars 2010)
[4] Le Devoir trouve sa place dans le Web 2.0 (Le Devoir, 12 mars 2010)
[5] Clay Shirky, The shock of Inclusion in The Edge Annual Question – 2010 Comment Internet change-t-il votre façon de penser ? (The Edge.org)
[6] Jeff Mignon, Le Post : un site d’information réussi et innovant qui mêle contenus pro et am (Media Café, 26 février 2010)

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Erwan

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Erwan, expert digital pour Coeur sur Paris, offre des insights pointus sur le marketing et les réseaux sociaux. Avec une plume vive et une analyse fine, il transforme les complexités du digital en conseils pratiques et tendances à suivre.